Comment la pandémie fragilise les « enfants pauvres »

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En 2018, en France, plus de 9,3 millions de personnes (soit 14,8 % de la population), dont 2,9 millions d’enfants (soit 21 %), vivaient sous le seuil de pauvreté.

La pauvreté des enfants est définie, encore aujourd’hui, à partir de la pauvreté des parents. La mesure la plus utilisée en France est celle de la « pauvreté monétaire ». De ce point de vue, un « enfant pauvre » vit dans un ménage dans lequel le revenu global se situe au-dessous d’un seuil de pauvreté – déterminé, d’après l’Insee, « par rapport à la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population. Eurostat et les pays européens utilisent en général un seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie. »




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Une autre mesure de la pauvreté est celle de la « pauvreté en conditions de vie ». Un ménage est considéré comme pauvre de ce point de vue s’il ne peut faire face à au moins huit difficultés ou restrictions parmi vingt-sept, regroupées en quatre domaines : les contraintes budgétaires, les retards de paiements, les restrictions de consommation et les difficultés de logement (Insee, 2020). En 2017, 11 % des ménages étaient pauvres en conditions de vie en France.

Besoins socio-émotionnels

Comme l’indicateur de pauvreté monétaire, l’indicateur de pauvreté en condition de vie se construit à partir du ménage, et non à partir des enfants, et il ne tient pas compte des différenciations existantes au sein du ménage (entre parents, entre fratries) ni des besoins spécifiques aux enfants.

On peut notamment citer le besoin d’une alimentation de qualité qui participe au développement cérébral, responsable entre autres de la régulation des émotions et du développement cognitif. Les enfants confrontés à la faim de façon chronique sont ainsi plus vulnérables au développement de problèmes de comportements (anxiété, agressivité, impulsivité, inattention), avec des répercussions sur les apprentissages et la réussite scolaire.

Le développement de l’enfant nécessite également un environnement sécurisant dans lequel ses parents vont pouvoir être disponibles pour répondre à ses besoins socio-émotionnels. Or le stress parental et le stress des enfants sont plus importants dans les familles vivant dans un contexte de pauvreté que les autres, avec des répercussions possibles sur la qualité des liens parent-enfant, pourtant facteur de protection pour le développement socio-émotionnel et cognitif de l’enfant.

La pauvreté à hauteur d’enfant (France 5, #Cadire).

Les taux de pauvreté monétaire, stables jusqu’en 2017, sont repartis à la hausse depuis. Une hausse « discrète » qui doit s’intensifier avec la crise sanitaire, comme le souligne l’Observatoire des inégalités :

« Comme après la crise de 2008, la progression du chômage va alimenter la pauvreté, notamment du fait de la faiblesse des indemnités. […] Les données pour l’année 2020 ne seront connues qu’en 2022, mais on voit mal comment elles pourraient ne pas être marquées par une forte croissance du nombre de personnes pauvres ».

Cette augmentation serait liée, selon l’historienne Axelle Brodiez-Dolino, au basculement dans la pauvreté des pauvres qui sont devenus encore plus pauvres (surcroît des dépenses, difficulté pour recevoir leurs allocations, difficulté pour poursuivre des activités informelles) et des précaires que l’auteur nomme « les nouveaux pauvres de la pandémie ». Y sont inclus tous ceux qui n’ont pas pu bénéficier du chômage partiel : les personnes en contrat précaire, en CDD, en intérim, en période d’essai, ainsi que les saisonniers, les travailleurs informels.

Les taux de pauvreté en conditions de vie ont baissé ces dernières années, mais il ne serait pas étonnant de les voir remonter aussi après la pandémie.

Vulnérabilités à venir

Outre l’augmentation de la pauvreté, d’autres études récentes signalent une plus forte vulnérabilité de cette frange de la société, qui est finalement plus exposée au virus que d’autres.

Dans un rapport sur le premier confinement, l’Insee montre, par exemple, que les personnes les plus modestes vivent plus souvent dans des logements surpeuplés. Ces mêmes personnes ont vécu le confinement plus difficilement, à cause d’un manque d’accès à un espace extérieur privatif et à la taille du logement.

Ils ont été plus souvent empêchés de communiquer pendant le confinement à cause du manque d’équipement informatique et parfois d’une situation d’illectronisme, pouvant amener à un isolement social et à la solitude, facteur de vulnérabilité pour la santé physique et psychique.

Les données statistiques soulignent l’augmentation du nombre des pauvres et l’exacerbation de leurs difficultés d’avant la pandémie. Bien évidemment, les enfants vivant dans ces ménages pauvres seront touchés par les difficultés vécues par leurs parents (risques plus élevés de contamination et de formes graves de la Covid-19, accès plus limité aux soins, pertes d’emploi et de ressources financières…), sources de stress et d’une moindre disponibilité.

Tensions familiales

Afin d’illustrer comment la pauvreté des ménages touche les enfants et de mieux comprendre les situations auxquelles ils doivent faire face en cette période de pandémie, nous allons nous attarder sur quelques observations de leur quotidien. L’étude qualitative de la pauvreté, même si elle est rare en France, permet de voir plus finement certains de ses méfaits chez les familles et les enfants.

Une recherche ethnographique (Stettinger, ouvrage en préparation), menée entre 2009 et 2016 dans le nord de la France auprès de 50 individus, dont 27 enfants, nous montre à quel point le quotidien dans un logement surpeuplé crée un manque d’intimité pour les adultes, avec peu de moments partagés à deux et une vie sexuelle appauvrie. Le manque d’intimité pose aussi problème aux enfants, qui ont du mal à s’isoler pour réaliser leurs devoirs ou dormir. Ils développent aussi des maladies comme des allergies, dues aux conditions du logement.

Avoir peu d’argent les oblige à adapter leur consommation : achats mesurés, différentiation entre enfants pour les achats et l’alimentation. Certaines familles font parfois le choix de donner plus à l’enfant qui a le plus de chance de réussir. Tout cela crée des tensions, des jalousies, des vols intrafamiliaux. Dans une période où le travail, activités non déclarées incluses, se fait rare, où la plupart de ces personnes n’ont pas pu bénéficier du chômage partiel, il n’est pas étonnant de voir leurs difficultés s’aggraver et les conflits intrafamiliaux s’intensifier.

L’augmentation des violences intrafamiliales, exposant ainsi les enfants à des situations à risque pour leur bien-être physique, psychique ainsi que leur développement à long terme. Nous avons pu voir aussi comment ces enfants ont été nombreux à avoir des difficultés concernant le suivi scolaire à distance avec le manque d’équipement informatique ou l’absence des personnes aptes à les aider dans le suivi scolaire, avec le risque de creuser les inégalités.

Outre le fait d’être les plus exposés et les plus vulnérables face à la pandémie, les personnes pauvres, adultes et enfants, retrouvent des formes de pauvreté encore plus dures, sans avoir la garantie de bénéficier d’un accompagnement social plus important.

Vanessa Stettinger, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Lille et Marie Danet, Maîtresse de conférence en psychologie, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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